Depuis quelques temps, le mot est entré dans les esprits : éco-anxiété. Aux problèmes personnels déjà lourds avec lesquels beaucoup doivent déjà composer, vient s’ajouter cette information massive, vertigineuse et implacable : les écosystèmes s’effondrent, le climat s’emballe, le vivant est menacé. Pour les personnes qui souffrent d’éco-anxiété, c’est comme être un fœtus dans le ventre d’une mère toxico et condamnée. On se débat pour vivre, mais celle de qui notre vie dépend se meurt. Aucune issue, aucune alternative.

Chaque jour, des informations, des reportages, des images nous rappellent l’ampleur du désastre ; nous rappellent aussi et surtout que si notre mère est si malade, c’est de notre faute. C’est nous qui la bousillons, jour après jour, de notre inconséquence. A l’anxiété vient donc s’ajouter une culpabilité crasse, omniprésente. Pour qui se renseigne un peu, il semble que le moindre geste du quotidien – se nourrir, se vêtir, se chauffer, se déplacer – soit devenu un acte destructeur, toxique, un acte simultanément suicidaire et meurtrier.

Il est bien évident qu’il nous faut changer urgemment et profondément notre façon d’être en relation avec le vivant. Pourtant, les chercheurs en écopsychologie sont formels : non seulement l’anxiété et la culpabilité ne servent à rien pour nous faire changer collectivement dans nos comportements, mais elles font même partie du problème. Si l’on considère qu’il existe une écologie psychique au même titre qu’une écologie physique, l’anxiété et la culpabilité polluent et nous intoxiquent sur le plan psychique tout autant que les pesticides et les nuages radioactifs le font sur le plan physique.

L’une des voies à laquelle nous invite les écopsychologues et d’autres explorateurs de notre lien au vivant, c’est de nous réensauvager, de réensauvager nos corps et nos consciences. De retrouver notre nature animale et instinctive qui, elle, sait d’où elle vient, à quoi elle participe et à quoi elle appartient. Il y a quelque chose de véritablement jouissif à réanimer nos sens, à retrouver notre connexion avec le vivant. Pendant des millénaires, nous avons vécu dans des forêts. Aujourd’hui, un grand nombre d’entre nous vit entouré de bitume et de béton. La pire des déforestations, c’est celle que nous avons subi à l’intérieur de nos psychismes, déracinés, ratiboisés. Il est temps d’y replanter des arbres. De se réenforester.

Se réensauvager ou se réenforester ne signifie pas tourner le dos à la civilisation et à tout ce qu’elle a pu apporter : la connaissance, la musique, la littérature, la poésie… C’est sortir de la dualité entre le Civilisé et le Sauvage. Comme le dit Morizot, « le dehors de chaque terme d’un dualisme, ce n’est jamais son terme opposé, c’est le dehors du dualisme lui-même. Sortir du Civilisé, ce n’est pas se jeter dans le Sauvage, pas plus que sortir du Progrès implique de céder à l’Effondrement : c’est sortir de l’opposition entre les deux. ».
Selon la psychologie transpersonnelle et intégrale, dans la lignée de nombreuses traditions spirituelles, l’être humain est un animal, plus un dieu. Ce sont nos deux racines ; une dans la densité de la Matière, l’autre dans le Mystère de l’Esprit. Il semble qu’en plus d’être déforestés, nous soyons doublement déracinés. Il s’agit donc plus que jamais de retrouver nos racines, de faire danser en nous le sauvage et le divin, d’en découvrir les alliances possibles et, à partir de là, de réinventer de nouvelles manières d’être au monde.

Comme le suggère la romancière Jean Hegland dans son magnifique ouvrage « Dans la Forêt », peut-être que la période de crises multiples que nous traversons se révélera un jour comme un mauvais rêve, une déconnexion furtive, une décompensation psychotique collective qui aurait mal tourné. Il est en tout cas temps pour toutes celles et ceux qui en ressentent l’appel de retrouver la joie brute d’habiter un corps vivant et vibrant, un corps né de cette matrice qu’est la Terre, infiniment résiliente, puissante et aimante. Temps aussi de retrouver notre sens de la transcendance, du Mystère, de l’Infini. C’est, je crois, ce qui nous permettra de faire disparaître les nuages toxiques qui nous polluent tant, aussi bien dans nos vallées que dans nos psychés.

Pour cet automne, je vous souhaite donc que vos narines puissent s’enivrer du parfum de l’humus forestier, que votre visage retrouve la sensation vivifiante d’une pluie glacée qui dégouline et que, en plongeant votre regard dans l’infini d’un ciel étoilé, vous puissiez retrouver la saveur et la profondeur de l’Être.

Bien chaleureusement,

Johann Henry