L’automne dernier, j’ai voulu faire une expérience : troquer mon smartphone contre un téléphone beaucoup moins smart, un téléphone basique, à touches, qui sert juste à téléphoner. Après avoir fait le constat surprenant qu’il est très difficile de trouver un téléphone qui n’ait pas de connexion internet, et avoir subi les regards perplexes des vendeurs de téléphone (« mais pourquoi vous voulez faire ça ?!), je me suis lancé, en me donnant un mois d’expérience, reconductible.

Je fais en effet partie des personnes qui sont facilement addict aux écrans, et j’avais, malgré ma volonté d’avoir un usage raisonné, un usage compulsif. J’avais presque tout essayé : désinstallé des applis, limité l’accès à certains sites, tenté de ne pas amener mon téléphone dans ma chambre, tout cela s’était avéré sans succès.

Je m’étais persuadé que cet usage compulsif, comme la plupart de nos addictions, avait pour fonction de tenir à distance mon anxiété de fond, et que les écrans me permettaient de ne pas trop « sentir » des parties de moi blessées, sensibles, vulnérables. Lorsque j’ai décidé de faire cette expérience de vie sans écran (ou presque, j’ai quand même gardé mon ordi!) j’ai donc choisi un moment où je me sentais suffisamment stable et disponible pour accueillir ces parties de moi refoulées qui ne manqueraient pas, selon mon hypothèse, d’en profiter pour se défouler…

Mais rien de tout cela n’arriva. Plutôt qu’un pénible et violent reflux de mes ombres et autres blessures, j’ai vécu une expérience intime et intense avec… la Joie. Ça fait peut-être un peu con de le dire comme ça, mais c’est pourtant ce que j’ai vécu : libéré de cette connexion permanente aux réseaux, médias, mails et autres Whatsapp que j’avais continuellement, je (re)trouvais une autre Connexion : à la Nature, à mon corps, au silence, à la relation, au Soi.

Les psychologues qui se sont intéressés aux états mystiques (W. James, C. G. Jung, R. Assagioli), aux peak experiences (A. Maslow) et aux états de conscience élargie (S. Grof, K. Wilber…) sont unanimes pour dire que, phénoménologiquement, la Joie est la qualité qui prime lors de ces expériences hors du commun. Elle serait la marque du Soi, la signature de l’âme, et s’imposerait dès lors que l’on se rapproche de notre Être profond. Ces mêmes psychologues ont aussi montré que notre psychisme trouve toutes sortes de stratégies pour refouler non seulement nos ombres mais aussi notre lumière, susceptible elle aussi de nous bousculer. Ils ont appelé ça : la répression du Sublime…

Alors bien sûr, c’est pratique un smartphone. Ça dépanne en bien des situations et parfois, ça me manque. Mais il s’est rapidement imposé que cette expérience d’une durée initiale d’un mois était en fait une expérience sans retour. Impossible de revenir en arrière, ce serait trop cher payer cette Connexion profonde, nouvellement retrouvée.

Un des vendeurs que j’ai vu lors de ma quête d’un « téléphone basique » m’a dit, déboussolé : « je ne comprends pas, il y a plein de gens qui me demandent ça en ce moment! ». Il faut croire que nous sommes nombreux à être en quête d’une autre Connexion. Réjouissant, non ? 🙂