Naître

Le Dr Stanislas Grof, médecin psychiatre d’origine tchèque, est l’un des pères fondateurs de la psychologie transpersonnelle. Dans les années 60, il a fait partie des premiers à effectuer des recherches sur l’usage thérapeutique des états modifiés de conscience, notamment avec le LSD. Après l’interdiction de cette substance au début des années 70, Grof a mis en place la technique de la respiration holotropique, une technique de souffle induisant des états de transe profonds sans l’utilisation de substances.
Au cours de ses 50 années de pratique, Grof a accompagné à travers le monde des dizaines de milliers de personne dans ces états de conscience élargie, et recueillis une quantité remarquable de témoignages d’expériences et de transformation.
Parmi ces expériences, il a remarqué qu’un certain nombre de « psychonautes » – comme il les appelle – revivaient les différentes étapes de leur naissance. Grof a ainsi mis en lumière 4 phases qui se vivent lors de ce processus de naissance, qu’il a appelé les « Matrices Périnatales Fondamentales » ou MPF :

• La première (MPF1) correspond au stade où le fœtus est dans le ventre de sa mère et vit, lorsque tout se passe suffisamment bien, un état profond d’unité, d’harmonie, de sérénité et de sécurité. Dans ce ventre-monde, le futur bébé savoure un état paradisiaque d’indifférenciation appelé à durer pour l’éternité.
• La deuxième phase (MPF2) correspond pour le futur bébé au début des contractions. La matrice maternelle, accueillante et nourrissante, devient soudainement menaçante et inhospitalière. Malheureusement, le col de l’utérus n’étant pas encore ouvert à ce stade, il n’y a pas d’issue. Cette phase est donc empreinte de danger, de désespoir, de non-sens et d’impuissance totale.
• La troisième phase (MPF3) correspond au processus d’accouchement proprement dit. Le bébé a trouvé un passage, une issue possible. Il lutte dans le conduit qui le mène vers un ailleurs possible, synonyme de survie. C’est un moment de grande intensité, où la vie et la mort sont entremêlées. C’est le premier voyage du héros du petit humain. Parfois, il semble que les contractions du conduit utérin collaborent et l’aident à avancer et à s’extraire. Parfois, il a l’impression qu’au contraire elles l’empêchent de bouger et « jouent » sadiquement avec lui. Au cours de cette phase se mêlent excitation et découragement, grande énergie et épuisement, avec une réelle incertitude quant au résultat de ce « combat ».
• Lors de la quatrième et dernière phase (MPF4), c’est la délivrance. Le bébé sort enfin de la matrice utérine et est accueilli dans un monde radicalement nouveau. C’est la fin de la lutte, le repos du guerrier. C’est une étape fondamentale dans le processus de différenciation, qui ouvre la voie à la rencontre et à la relation. Le bébé est un être neuf dans un monde neuf. Tout est possible, et tout est à construire.

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que ces phases se retrouvent ensuite dans tout processus de passage ou de transformation de notre vie d’adulte. Elles peuvent ainsi nous servir de grille précieuse pour comprendre ce qui se passe en nous, et ce qui se passe collectivement dans le monde aujourd’hui. Voyons ce que cela donne :

• Transposé à l’âge adulte, la phase 1 correspond à un état d’innocence et de relative ignorance où la personne se laisse porter par les autres, que ce soit son groupe social ou la société dans son ensemble (matrice sociale). Elle n’a pas la capacité d’avoir du recul sur sa vie, sur ce que lui disent les autres, les médias, les institutions, la société à laquelle elle participe. Vivant dans une sorte d’indifférenciation psychique, elle ne perçoit que très peu de dualité entre son monde et le monde qui l’entoure. Ainsi, si le « ventre-société » qui la porte est malade, elle sera malade avec lui, sans pouvoir en prendre conscience.

• Actuellement, notamment du fait des événements liés à la crise covid, un nombre grandissant de personnes sont passées de la douce insouciance de la MPF1 à l’angoisse de la MPF2. Pour elles, les matrices institutionnelles qui auparavant étaient des repères rassurants et nourriciers sont à présent perçues comme des menaces et des sources de danger potentiel ; cela peut inclure le monde politique, les médias, le monde du travail et des entreprises, le monde médical, celui de l’éducation, les institutions religieuses et même la science prise comme un tout. La Terre elle-même, matrice nourricière par excellence désormais menacée de devenir invivable du fait du réchauffement climatique n’est plus un refuge sur lequel on peut compter. Ainsi les personnes entrées en MPF2 se sentent dramatiquement coincées, prises dans un environnement devenu menaçant et inhospitalier, sans pouvoir se projeter vers un ailleurs… (« there is no planet B… »).
• Après être sortis de la sidération et de la paralysie angoissante de la MPF2, certaines personnes passent ensuite à la phase 3, qui correspond chez l’adulte au moment où une nouvelle perspective, de nouvelles possibilités d’être et de vivre ont été trouvées et qu’il s’agit à présent de rejoindre, coûte que coûte. Il peut s’agir d’un changement intérieur (nouvelle posture, nouveau regard sur le monde et les événements) et/ou extérieur (un changement de situation, l’aboutissement d’un projet) et peut porter soit sur la vie individuelle, soit sur la vie collective. Comme certaines naissances, ces passages peuvent se passer de façon très fluide, rapide et heureuse ; et comme certaines naissances, ils peuvent être vécus comme des combats interminables, douloureux et traumatisants. Parfois même, ils échouent.

• Lorsqu’on est dans l’angoisse de la MPF2 ou la lutte parfois acharnée de la MPF3, il peut arriver qu’on perde foi dans le fait que ce n’est qu’un passage, et qu’il existe véritablement une issue, une résolution, une délivrance. C’est ce que représente la MPF4. Chez l’adulte, c’est le moment de l’accomplissement. Que ce soit via une réalisation extérieure ou via un changement intérieur, cette phase entraîne avec elle une transformation radicale, une véritable renaissance.
  Ces derniers temps, je rencontre de plus en plus de personnes qui ont abouti à cette étape. Bien souvent, ce sont des individus qui ont recontacté leur raison d’être fondamentale et qui la déploient, en pleine conscience, dans leur vie de tous les jours, contribuant à la marche du monde et aidant, chaque fois qu’ils le peuvent, les autres dans leur propre processus de passage et d’accouchement. Ce sont des personnes qui manifestent, d’une façon ou d’une autre, la joie dans tous les domaines de leur vie. Elles ont transcendé le désespoir de la matrice 2 et la lutte de la matrice 3. Et, tout en savourant la sérénité chèrement acquise de cette 4^ème matrice, elles se tiennent prêtes pour la suite, conscientes que le nouveau stade sur lequel elles ont abouti constitue simultanément le stade I du futur cycle de transformation…

Pour ma part, cette grille de lecture m’aide beaucoup pour traverser les tensions multiples que nous connaissons actuellement, que je lis plus comme des « contractions » d’un accouchement collectif nécessaire et bienvenu que comme des « problèmes » qu’il faut résoudre urgemment. Chaque jour, ce sont des milliers de nouvelles personnes qui sortent de la torpeur de la MPF1 pour entamer leur processus de transformation. Sans doute ne le vivent-elles pas forcément comme une bonne nouvelle dans un premier temps (!), mais pour elles comme pour le collectif, c’est incontestablement une bonne chose ! 😊 Où que nous en soyons nous-mêmes dans ce processus, nous pouvons nous accompagner les uns les autres pour avancer, un pas après l’autre, dans nos processus de transformation individuelle et collective. C’est le moment !

Comment cette perspective résonne-t-elle pour vous ? Comment vous situez-vous dans ce processus de naissance et d’émergence ?
Je vous souhaite une excellente semaine, empreinte de découvertes et de croissance intérieure.